Cours "Philosophie des sciences de l'homme"
Axiomatique des sentiments (12 séances)
Nos sentiments sont les phénomènes les plus proches de nous, les plus immédiats. Loin s’en faut, cependant, que nous en ayons une connaissance claire et distincte. Ils comptent, bien plutôt, parmi les phénomènes les plus difficiles à connaître et à comprendre. Ceci vaut autant pour nos propres sentiments que pour ceux d’autrui. Dès l’origine de la philosophie et même avant, ce que nous nommons aujourd’hui « sentiment » a fait l’objet de réflexions approfondies. Le premier livre de la littérature occidentale, par exemple, l’Iliade d’Homère, est déjà une longue méditation sur un sentiment : la colère. Très tôt, les philosophes ont cherché à élaborer des théories des sentiments. C’est le cas chez Aristote dont Heidegger dit qu’il a fourni la « première herméneutique systématique de la quotidienneté de l’être l’un avec l’autre » et par là, également, la première réflexion systématique sur les affects (Etre et temps, trad. Martineau, § 29). A l’âge classique, ce souci se manifeste chez Spinoza : « c’est donc à cela surtout que nous devons apporter nos soins, à connaître chaque sentiment, autant qu’il est possible, clairement et distinctement » (Ethique, V, trad. Caillois). Plus tard, c’est encore ce souci qui guide une grande partie du développement de la psychanalyse, ou de la Daseinsanalyse. Plus récemment encore, les neurosciences se sont également proposées de construire un discours sur les sentiments fondé sur une approche expérimentale. Après avoir ainsi suivi les formes sous lesquelles a pu se manifester le désir de comprendre la nature des sentiments humains, on se demandera s’il est envisageable, et, si oui, à quelles conditions, d’élaborer une « axiomatique des sentiments », autrement dit s’il est possible de dégager une logique des affects. Ce questionnement nous conduira à nous interroger sur le statut de formes généralement peu commentées de connaissance des sentiments : les proverbes, les adages, les dictons, les maximes. On montrera que cette production ancestrale, non systématique, dont, le plus souvent, on ignore les auteurs, constitue une « axiomatique du sentiment » avant la lettre. On analysera les similitudes et les différences entre cette sagesse populaire et la sagesse que proposent les philosophes.